Réforme du droit des marques européennes: vers une modernisation du droit des marques ?
Après de longues discussions et analyses, la réforme du droit européen des marques, appelée « Paquet Marques », a été adoptée le 15 décembre 2015 par le Parlement européen et entrera en vigueur le 23 mars 2016 en ce qui concerne le régime des marques communautaires.
Cette réforme se compose de deux textes dont l’objectif est de faire évoluer le droit des marques dans un souci d’harmonisation toujours plus poussée au sein de l’Union européenne.
- Le nouveau Règlement n°2015/2424 remplace le Règlement n°2007/29 du 26 février 2009 et le Règlement No 40/94 du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire.
- La nouvelle Directive n°2015/2436 remplace la directive 2008/95/CE et prévoit un régime harmonisé applicable aux différentes marques nationales. Elle a été publiée le 23 décembre 2015 et est entrée en vigueur le 13 janvier 2016. Contrairement au Règlement, elle n’a pas d’effet direct et devra être transposée par les Etats membres dans un délai de 3 ans. Il convient de noter que les dispositions importantes, relatives aux nouvelles procédures administratives d’opposition, de déchéance et de nullité, pourront être transposées dans un délai de 7 ans.
Les évolutions apportées par le « Paquet Marques » composé par ces deux textes affecteront à des degrés divers le quotidien des titulaires de marques. Sans reprendre point par point les nouvelles dispositions du « Paquet Marques », revenons sur certains changements notables.
Un nouveau nom
Il convient de rappeler que la Communauté européenne est devenue depuis longtemps l’Union européenne. Afin de s’aligner sur ce changement de terminologie, les « marques communautaires » disparaissent et deviennent des « marques de l’Union européenne ».
De la même manière, l’OHMI change de nom et devient l’Office de la Propriété Intellectuelle de l’Union européenne, en abrégé EUIPO.
Suppression de l’exigence de représentation graphique
Il s’agit certainement d’une des évolutions apportées par le « Paquet Marques » dont on entendra encore parler. En effet, par le passé, l’exigence de représentation graphique rendait l’enregistrement des marques sonores, olfactives ou gustatives quasi impossible. Désormais, une telle protection devrait être facilitée.
La disparition de ce critère fondateur aura bien évidemment comme répercussion de devoir trouver des standards techniques et des critères acceptables qui permettront aux titulaires de déposer de telles marques et qui rendront possible une comparaison éclairée et l’appréciation objective du risque de confusion entre des signes donnés, le cas échéant.
Cette modification ouvre toutefois de nouvelles possibilités de protection pour les titulaires de marques et doit donc être saluée comme une évolution en ligne avec les évolutions techniques.
Codification de la jurisprudence IP TRANSLATOR
Une marque est un signe protégé pour des produits ou services spécifiques. Ces produits et services sont rangés dans 45 classes dépendant de la classification internationale dite de Nice. Chacune de ces classes comporte une description générique et reprend plusieurs centaines de définitions détaillées de produits ou services.
Avec l’arrêt IP TRANSLATOR, la Cour de Justice de l’Union Européenne a imposé un objectif de clarté et de précision des produits et services visés dans les libellés des marques enregistrées.
Auparavant, il était admis que l’intitulé d’une classe (encore appelé description générique) permettait de couvrir l’intégralité des produits ou services repris dans cette classe. La protection des marques sera désormais limitée aux produits et/ou services spécifiquement repris dans la demande d’enregistrement.
Les titulaires de marques déposées avant le 22 juin 2012 disposent d’une option jusqu’au 24 septembre 2016 pour se conformer aux nouvelles exigences mises en place par la jurisprudence IP TRANSLATOR, à savoir la possibilité d’amender la spécification de leur enregistrement afin qu’elle corresponde aux nouveaux critères.
Concrètement, si les titulaires des marques concernées ne décrivent pas clairement les produits et services qu’ils souhaitent réellement protéger avant la fin de ce délai, l’étendue de la protection de leur marque sera limitée selon le sens littéral de l’intitulé de la classe en question.
Il convient donc de profiter de cette opportunité. En effet, le titulaire qui choisirait de ne pas modifier la description des produits et services de sa marque risque non seulement de limiter la valeur (tant économique que juridique) de cette marque mais pourrait aussi se trouver un jour dans l’impossibilité d’utiliser sa marque contre des contrefacteurs. Il est donc recommandé à chaque titulaire d’analyser en détail ses propres enregistrements de marques, pour éviter tout désagrément.
La fin du système « trois classes pour le prix d’une »
Jusqu’à ce jour, la taxe de dépôt d’une marque communautaire se montait à 900 EUR pour une à trois classes. La taxe de dépôt d’une marque de l’Union européenne s’élèvera désormais à 850 euros pour une classe, plus 50 euros pour la 2ème classe et 150 euros par classe supplémentaire au-delà de la 2ème classe.
Contrairement à ce que les communiqués officiels mentionnent, cela représente en réalité une augmentation de 150 euros pour une marque en trois classes, alors même que de nombreux déposants ont besoin de plus de trois classes pour une protection adéquate.
L’objectif de ce nouveau système est notamment d’inciter les demandeurs à ne déposer leur demande d’enregistrement de marque que pour les classes absolument nécessaires et de désengorger ainsi les différents registres des marques. Il sera intéressant de surveiller si les Offices nationaux adopteront de manière volontaire ce nouveau système qui est prévu –mais facultatif – dans la nouvelle Directive.
Mise en place de procédures administratives d’annulation ou de déchéance
A l’heure actuelle, les procédures d’annulation ou de déchéance de marques nationales sont uniquement judiciaires. Les principaux intéressés en subissent les conséquences relatives au coût et à la durée des procédures.
La nouvelle Directive entend faciliter ces actions en permettant de demander la nullité ou la déchéance d’une marque devant l’office national compétent.
Il va sans dire que le nombre d’actions en annulation et en déchéance pourrait augmenter exponentiellement si la Directive est correctement transposée dans les différents droits nationaux.
Evolutions diverses
D’autres évolutions, que nous nous contenterons de citer, sont apportées par le « Paquet Marques ». En voici une liste non-exhaustive:
- La possibilité de déposer une marque de garantie ou de certification;
- L’amélioration de la lutte contre la contrefaçon, notamment via la suppression de la condition de mise en vente des produits contrefaits dans le territoire de l’Union Européenne, et via l’interdiction d’apposer une marque sur tout type de conditionnement, d’étiquetage, de certifications ou sur tout moyen de fixation de la marque;
- Les mentions traditionnelles pour les vins, les spécialités traditionnelles garanties, et les dénominations des variétés végétales, protégées au niveau national, pourront dorénavant constituer des obstacles à une demande d’enregistrement de marque de l’Union
* * *
Il ressort de ce qui précède que le Paquet Marque maintient le principe de la coexistence des deux systèmes de protection des marques (nationales et européennes) tout en essayant d’uniformiser les procédures nationales sur le modèle des procédures européennes.
Le Paquet Marque est un mélange de changements parfois anecdotiques, parfois majeurs, visant à la modernisation. Il constitue une évolution des règles en vigueur plutôt qu’une réelle révolution du droit des marques.
Olivier Laidebeur
En savoir plusBrexit. Quelles conséquences pour la propriété intellectuelle ?
Le Royaume-Uni (R.-U.) tient une place importante dans le monde de la Propriété Intellectuelle (PI), par le nombre de dépôts, l’attrait pour son système judiciaire et la contribution de ses praticiens et universitaires.
Le résultat du référendum est une terrible déception pour les professionnels de la PI en Europe, car les métiers de mandataires européens en marques et brevets résultent de la construction européenne et du désir d’harmonisation.
Keep Calm and Carry On
Le 2 août 2016, l’Office des marques et brevets du Royaume-uni (UK IPO) a publié son premier communiqué[1] sur l’impact du Brexit sur les droits de PI. Le message principal envoyé par l’Office est que le R.-U. continue à faire partie de l’UE jusqu’à ce que les négociations de sortie soient achevées.
Marques et dessins & modèles
Le Brexit n’affecte pas les enregistrements nationaux de marques et modèles ni les marques internationales désignant le R.-U.
En revanche, la sortie du R.-U. devrait entraîner également une sortie des systèmes de la marque de l’Union européenne et du dessin ou modèle communautaire, tous deux administrés par l’EUIPO[2] – une institution de l’UE. Ainsi une marque de l’UE, respectivement un modèle communautaire, qui produit des effets sur l’ensemble de l’UE, ne couvrira plus le territoire du R.-U.
Pour leurs nouveaux dépôts, les entreprises devront donc faire un dépôt séparé pour couvrir le R.-U. Dans ce contexte, on note que le R.-U. est membre du système de la marque internationale (système de Madrid) et pourra encore être désigné via un dépôt international.
En ce qui concerne les marques de l’UE et les modèles communautaires existants, on s’attend à ce que le gouvernement anglais mette en place un régime transitoire permettant aux titulaires de convertir leurs titres européens en titres nationaux, afin d’assurer la continuité des droits.
Ainsi, même si le système actuel va continuer à fonctionner de manière habituelle pendant encore un certain temps (a priori au moins deux ans), une période d’incertitudes s’ouvre pour les déposants et praticiens. En conséquence, et jusqu’à ce que les modalités de la conversion soient connues, les déposants les plus prudents pourront envisager, lors de leurs nouveaux dépôts de marques de l’UE ou de modèles communautaires, d’adjoindre une marque ou un modèle national au R.-U.
Enfin, une révision des licences et contrats relatifs à des marques de l’UE et/ou des modèles communautaires pourra s’avérer nécessaire, de sorte qu’ils fassent en outre référence aux marques et modèles au R.-U. issus de la conversion.
Brevets
Les brevets délivrés par l’UK IPO ne sont pas affectés. Le R.-U. restera également membre de la Convention sur le Brevet Européen, puisqu’il ne s’agit pas d’un instrument de l’Union européenne. Les entreprises auront donc toujours la possibilité de procéder centralement à un dépôt auprès de l’Office Européen des Brevets[3], afin d’obtenir un brevet européen désignant 40 pays, dont le R.-U. La partie anglaise des brevets européens obtenus avant le Brexit ne sera pas non plus affectée.
En revanche, le Brexit met en péril le nouveau système du Brevet Unitaire européen, attendu depuis 40 ans. Celui-ci met en place un « brevet européen à effet unitaire » conférant une protection uniforme[4] dans la plupart des Etats de l’UE ainsi qu’une Juridiction Unifiée du Brevet (J.U.B.), avec un siège à Paris, Munich et Londres. La J.U.B. aura compétence pour connaître des contentieux relatifs aux brevets européens unitaires et classiques. Une ratification de l’accord[5] sur la J.U.B. par 13 Etats membres, dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni est requise pour l’entrée en vigueur du système, qui était attendue au printemps 2017. A ce jour, 10 Etats l’ont ratifié, dont le Luxembourg, la France et la Belgique ; les démarches législatives étant engagées dans d’autres pays dont l’Allemagne et le R.-U.
Le UK IPO a indiqué dans son communiqué qu’il continuait à participer aux réunions du Comité Préparatoire. Si la ratification est possible tant que le Brexit n’est pas effectif, elle paraît difficile à imaginer sur la voie du désengagement.
Différentes hypothèses sont avancées pour maintenir le R.-U. dans le système, ce dernier ayant joué un rôle important dans sa construction. Pourra-t-on trouver une parade pour que le R.-U. participe au Brevet Unitaire en étant hors de l’UE ? Un Brevet Unitaire ne couvrant pas le R.-U. aurait-il un intérêt pour les entreprises ? Le suspense reste entier pour l’instant, et un retard paraît certain – en espérant que tous ces efforts ne seront pas vains.
[1] https://www.gov.uk/government/news/ip-and-brexit-the-facts
[2] Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle – anciennement OHMI
[3] http://www.epo.org
[4] Règlement (UE) No 1257/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 17.12.2012
[5] voir https://www.unified-patent-court.org En savoir plus